Akdital : plus qu’un simple acteur de la Santé ?

Chiffres records, expansion nationale et ambitions internationales : Akdital s’impose comme l’opérateur central de la santé privée au Maroc. Mais derrière cette montée en puissance, une question demeure en suspens : qui régule encore le système ?

Le 4 avril dernier, dans une conférence discrètement millimétrée à Casablanca, le groupe Akdital a présenté des résultats financiers inédits pour l’exercice 2024 : près de 3 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, une croissance annuelle de 55 %, un EBITDA qui dépasse les 28 %, et une marge nette frôlant les 12 %. La performance impressionne. L’efficacité du modèle saute aux yeux. Mais c’est précisément cette efficacité, sa vitesse, son ampleur, son absence de contre-pouvoir, qui commence à faire réagir une partie du secteur.

Car Akdital n’est plus un acteur parmi d’autres. Avec 33 établissements dans 19 villes, 3.700 lits, une couverture territoriale de 11 régions sur 12, le groupe n’occupe pas le marché : il l’organise. Et ce, sans véritable débat sur les implications de ce positionnement systémique.

Expansion contrôlée, financement public

Dans sa trajectoire d’expansion, Akdital a su capter, au bon moment, les flux issus de la généralisation progressive de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO). En 2023, près de 60 % de son chiffre d’affaires provenait de la couverture publique, via la CNSS et la CNOPS. Une dynamique assumée, mais rarement questionnée : la montée en puissance d’un acteur privé largement financé par des ressources publiques, dans un paysage encore structurellement déséquilibré.

Dans plusieurs villes, le passage par un établissement Akdital n’est plus une option parmi d’autres. Il devient, pour les patients couverts, le chemin par défaut. Ce n’est pas un choix médical, c’est une réalité d’offre.

Modèle unique, système en mutation

Le groupe a bâti une organisation redoutablement efficace : clusters régionaux, mutualisation des ressources humaines, standardisation des soins, montée en spécialités rentables comme l’oncologie. Il attire les médecins, investit dans les équipements (robotique chirurgicale, connectivité entre sites), et multiplie les ouvertures dans les segments laissés vacants par un secteur public à bout de souffle.

Mais cette avancée rapide, sans régulation apparente, redessine profondément le fonctionnement du système. Ce n’est plus l’État qui structure l’offre de soins, c’est un acteur privé qui, de fait, impose ses logiques et ses rythmes. En face, les autres opérateurs, publics ou indépendants, s’adaptent tant bien que mal. Et les autorités sanitaires observent, sans encadrer.

Le virage international

À partir de 2027, Akdital prévoit de s’implanter à l’étranger. Quatre cliniques sont annoncées : deux aux Émirats Arabes Unis, deux en Arabie Saoudite. Le cap est donné : classes moyennes solvables, soins spécialisés, environnement rentable.

Cette projection n’est pas illégitime. Mais elle alimente un sentiment diffus : et si le Maroc n’était plus qu’une base arrière, un tremplin, un marché saturé à rentabiliser avant de viser plus loin ?

Communication sélective

Dans cette montée en puissance, un détail étonne : le groupe communique en choisissant avec précision ses canaux. Les médias généralistes sont régulièrement sollicités, les médias spécialisés en santé, eux, sont rarement conviés. Les conférences sont triées. L’information est cadenassée. Et les questions critiques sont souvent laissées sans réponse.

Un paradoxe, alors que le groupe est en train de prendre une place centrale dans un secteur vital. À ce niveau de présence, le silence n’est plus une stratégie de marque : c’est une posture politique.

Un moment de bascule

Ce que révèle Akdital, ce n’est pas seulement la réussite d’un acteur privé. C’est l’absence d’un cadre stratégique national sur ce que doit être la santé au Maroc dans les dix prochaines années.

L’accès aux soins, la diversité des modèles, la soutenabilité du financement, la souveraineté des politiques publiques : ces sujets sont absents du débat, pendant que le secteur se restructure à grande vitesse.

La réussite d’Akdital ne peut être niée. Mais elle ne doit pas éclipser l’essentiel : une politique de santé se construit avec tous les acteurs, pas uniquement autour de ceux qui grandissent le plus vite.

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