À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose, une rencontre à distance a réuni un panel d’acteurs engagés dans la santé publique, ce 24 mars. Médecins, représentants institutionnels et partenaires internationaux ont dressé un état des lieux de la maladie et partagé les nouvelles orientations du pays pour en finir avec ce fléau qui, malgré les progrès, persiste.
Le Dr Mohammed Youbi, à la tête de la Direction de l’Épidémiologie et de la Lutte contre les Maladies (DELM), a ouvert les travaux en soulignant l’ampleur de la tâche. Mettre fin à la tuberculose au Maroc nécessite, selon lui, une organisation méthodique, des moyens consolidés et une mobilisation durable.
Maryam Bigdeli, représentante de l’Organisation mondiale de la santé au Maroc (OMS Maroc), a rappelé que cette ambition ne pourra se concrétiser qu’avec l’implication conjointe des pouvoirs publics, du secteur privé et de la société civile. Pour elle, seul un effort collectif pourra faire pencher la balance.
Des spécialistes comme le Pr Moulay Hicham Afif, directeur du CHU Ibn Rochd, ou le Dr Moulay Driss Daoudi, épidémiologiste au ministère de la Santé, ont apporté un éclairage sur la situation actuelle et les défis à relever.
Des chiffres qui interrogent
Le Maroc a enregistré une baisse de l’incidence de la tuberculose estimée à 19 % entre 2000 et 2023. En 2023, près de 35.000 cas étaient recensés, soit un taux de 92 pour 100.000 habitants. La mortalité, elle, a chuté de 46 %, avec un total d’environ 1.900 décès chez les personnes séronégatives et 54 parmi les personnes vivant avec le VIH.
Mais au-delà de ces chiffres en apparence encourageants, les intervenants ont pointé du doigt une dynamique jugée trop lente. Le rythme actuel ne permettrait pas d’atteindre l’élimination de la tuberculose à l’échéance fixée de 2030.
La tuberculose résistante reste un point noir
En 2024, 261 cas de tuberculose résistante aux traitements standards ont été signalés, majoritairement chez les hommes adultes, avec une moyenne d’âge de 40 ans. Quatre régions cumulent à elles seules 85 % de ces cas : Rabat-Salé-Kénitra, Casablanca-Settat, Fès-Meknès et Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
Cette répartition reflète une forte concentration dans les grandes agglomérations, où les conditions de dépistage, de suivi et d’adhésion au traitement méritent d’être réexaminées.
L’autre défi : la co-infection tuberculose/VIH
Le nombre de patients touchés à la fois par la tuberculose et le VIH a augmenté, atteignant 364 cas en 2024. Cette hausse est partiellement attribuée à l’amélioration du dépistage, qui couvre aujourd’hui près de 78 % des patients tuberculeux, contre 40 % trois ans plus tôt.
Les hommes sont largement majoritaires dans cette population (82 %), et près de 60 % connaissaient déjà leur statut VIH avant l’apparition de la tuberculose. Les enfants restent peu concernés, ne représentant que 3 % des cas.
Les régions de Casablanca-Settat, Souss-Massa, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Marrakech-Safi et Rabat-Salé-Kénitra regroupent à elles seules huit cas sur dix.
Traitements : entre constance et progression
Le taux de réussite du traitement des formes sensibles reste élevé : 87 % en moyenne ces trois dernières années. Pour les formes résistantes, les données montrent une progression encourageante. Le taux de guérison, qui stagnait à 43 % en 2018, atteint désormais 71 %. Dans le même temps, les cas de rupture de suivi ont diminué de manière significative, passant de 30 % à 14 %.
Prévention : des marges à exploiter
Le traitement préventif de l’infection tuberculeuse latente reste peu déployé. En 2024, seules 34 % des enfants contacts de moins de cinq ans et 21 % des personnes de plus de cinq ans ont bénéficié du traitement. À l’inverse, les personnes vivant avec le VIH affichent une couverture bien plus élevée, avec 81 % incluses dans les protocoles.
Malgré ces lacunes, le taux d’achèvement des traitements engagés atteint 83 % pour la cohorte de l’année précédente.
Renforcer le dépistage pour agir en amont
Le Pr Afif a insisté sur la nécessité de mieux distinguer les personnes infectées mais asymptomatiques (dites à infection latente) de celles présentant une maladie active. Ce passage de l’infection à la maladie peut survenir en cas de fragilité du système immunitaire, de vieillissement ou de malnutrition.
Les groupes les plus exposés sont les contacts proches de patients atteints, les malades sous dialyse, les personnes atteintes de silicose ou en attente de greffe, et ceux recevant des traitements immunosuppresseurs.
Quels outils pour détecter ?
Trois tests sont disponibles au Maroc :
- Le test cutané à la tuberculine (TCT), largement utilisé pour sa simplicité et son coût réduit,
- Le test IGRA (basé sur l’interféron gamma),
- Le test antigénique TCAS.
Le TCT reste la méthode de référence dans le cadre du programme national. Le seuil de positivité est fixé à 10 mm, mais il est abaissé à 5 mm chez les patients immunodéprimés.
Des règles adaptées aux plus vulnérables
Les directives nationales précisent que le TPT (traitement préventif) peut être initié sans test préalable chez les enfants de moins de 5 ans et les personnes vivant avec le VIH. Pour les autres publics cibles, un test immunologique positif reste requis.
Traitements : quatre molécules principales
Le traitement préventif repose sur l’isoniazide, la rifampicine, la rifapentine et, en cas de résistance, la lévofloxacine. Avant toute mise sous traitement, il est impératif d’écarter une tuberculose active, de vérifier l’éligibilité, de sensibiliser les patients, d’encourager l’adhésion et d’assurer un accompagnement régulier.
Cap 2030 : une course contre la montre
Le Maroc a posé les jalons d’une stratégie structurée et territorialisée à travers son Plan national 2024-2030. Mais les indicateurs montrent que la tuberculose, loin d’être un souvenir, exige encore des efforts ciblés, un engagement politique fort et une meilleure coordination sur le terrain.