Plan Santé 2025 : Le Maroc face à ses défis sanitaires pour bâtir un système durable

À l’initiative de la Chambre de Commerce Britannique au Maroc et du laboratoire pharmaceutique GSK, un séminaire d’envergure s’est tenu à Casablanca, autour du thème « Plan Santé 2025 : Résultats, défis et perspectives futures ».

Cette rencontre, réunissant des figures majeures du secteur de la santé à l’image du Pr. El Houssaine Louardi, a permis de dresser un état des lieux du système de santé marocain à l’approche de l’échéance 2025. EnSanté.ma y était pour recueillir les regards croisés d’experts, de décideurs et de praticiens.

Stephen Orr, président de la Chambre de Commerce Britannique au Maroc, a mis en lumière l’importance du partenariat entre les deux royaumes. Selon lui, la relation bilatérale dépasse les échanges économiques pour devenir un levier structurant du développement sanitaire. « Nous œuvrons à créer des ponts entre les acteurs de la santé des deux pays. Il s’agit aussi d’accompagner les investisseurs britanniques dans leur implantation au Maroc », nous a-t-il précisé.

Myriem Tamimy, directrice générale de GSK, a mis le point sur la nécessité de miser sur le développement des compétences humaines et le renforcement des infrastructures. Elle a rappelé que la souveraineté sanitaire ne pouvait se construire qu’à travers une montée en puissance des ressources médicales nationales et un effort soutenu en matière de formation et d’équipement.

Réalisations et faiblesses du système actuel

Abdelilah Marnissi, en charge de la planification au ministère de la Santé et de la Protection sociale, a présenté les principaux acquis du Plan Santé 2025. En matière d’infrastructure hospitalière, six centres hospitaliers universitaires (CHU) sont actuellement opérationnels à Rabat, Casablanca, Fès, Marrakech, Oujda et Tanger. Cinq autres sont en cours de construction à Agadir, Laâyoune, Béni Mellal, Errachidia et Guelmim. L’hôpital Ibn Sina à Rabat, fleuron du service public, fait l’objet d’une reconstruction complète.

En milieu rural, 2.183 établissements de soins de santé primaires ont été recensés, soit une progression de 70 %. Entre 2017 et 2023, 1.825 projets ont été menés dans ces zones, pour un investissement estimé à 1,7 milliard de dirhams. Les unités mobiles connectées, au nombre de 100, interviennent désormais dans 34 provinces réparties sur neuf régions.

Le pays compte actuellement plus de 75.000 professionnels de santé dans le secteur public. Les femmes y sont largement majoritaires, représentant 69 % des effectifs. Pour l’année 2025, 6.500 nouveaux postes budgétaires sont prévus, en lien avec une stratégie de renforcement de la formation.

Le budget du ministère a plus que doublé depuis 2018, atteignant 7,2 % du budget général de l’État. Malgré ces progrès, Marnissi souligne que le Maroc reste en retrait par rapport à des pays comparables comme la Turquie, la Jordanie ou la Tunisie.

Du côté du financement des soins, la part supportée par les ménages a diminué pour atteindre 38 %, contre 45,6 % en 2018. Le recours à l’assurance maladie est en légère hausse, à 31 %, tandis que le financement collectif a progressé à 61,4 %, en hausse de plus de huit points en quatre ans.

Des défis structurels persistants

Sept enjeux ont été identifiés comme critiques : l’apparition de nouvelles pathologies, la pénurie de personnels qualifiés, la gouvernance déficiente, les inégalités dans l’accès aux soins, les impacts du dérèglement climatique, le retard technologique et la fragilité du financement.

La réforme du secteur s’articule autour de la Loi-cadre 06-22, qui pose les bases d’un changement en profondeur : gouvernance repensée, valorisation des professionnels, refonte de l’offre de soins, et mise en place d’un système d’information unifié et digitalisé.

Les Groupements Sanitaires Territoriaux (GST) incarnent cette nouvelle organisation. Le site pilote de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, confié à Mohamed Aggroui, illustre cette transition vers une gouvernance intégrée à l’échelle régionale, avec des parcours de soins coordonnés et une carte sanitaire territorialisée.

Nouvelles structures, nouvelle ambition

Deux nouvelles agences publiques ont été instituées. L’Agence Marocaine des Médicaments et des Produits de Santé, née de la Loi 10.22, a pour mission de structurer l’industrie pharmaceutique et de stimuler l’investissement. La Loi 11.22 consacre quant à elle la création de l’Agence Marocaine du Sang, chargée de garantir l’approvisionnement national en produits sanguins et leur qualité.

La valorisation des métiers de la santé passe aussi par une réforme du système de rémunération, un environnement professionnel plus favorable, une ouverture aux expertises étrangères et un soutien affirmé aux compétences issues de la diaspora.

L’innovation au cœur du renouveau

Le Pr. Saber Boutayeb, directeur du Centre Mohammed VI pour la Recherche et l’Innovation, relevant de la Fondation Mohammed VI des Sciences et de la Santé (FM6SS), a mis en lumière l’essor de la médecine de précision au Maroc.

Le déploiement du séquençage génétique rapide (R-WGS), désormais disponible localement, permet des diagnostics génomiques en moins de dix jours. « Jusqu’ici, il fallait plusieurs mois et des analyses à l’étranger. Désormais, c’est possible ici, grâce à nos compétences », a-t-il déclaré. Il appelle à positionner le Maroc comme acteur de l’innovation en santé sur le plan mondial.

Santé numérique : la révolution nécessaire

Le Pr. Anass Doukkali, président du Centre Innovation E-santé de l’Université Mohammed V de Rabat, a insisté sur l’urgence d’accélérer la digitalisation. Fragmentation des données, absence d’interopérabilité et cadre réglementaire inadapté freinent le développement du numérique en santé.

Il a annoncé la création d’un Observatoire national de la santé, en lien avec le MSPS, mais aussi des acteurs mondiaux, à l’image de la Healthcare Information and Management Systems Society (HIMSS), avec laquelle le CIES a signé un accord, à l’occasion du GITEX Africa 2025 à Marrakech, pour accompagner la maturation digitale du secteur.

« Il faut cesser d’être spectateurs. L’IA, la télémédecine, la prévention digitalisée sont des outils qui doivent être pleinement intégrés », a-t-il plaidé. Rappelant que déjà, en 2021, un jeune Marocain sur deux se disait favorable à la télémédecine.

Gouvernance et équité : les lignes rouges

Le Pr. Jaafar Heikel, médecin épidémiologiste et économiste de la santé, a soulevé une question centrale : qui finance le système ? Pour lui, malgré la couverture maladie généralisée, plus de la moitié des soins sont encore payés directement par les citoyens. Une situation « incohérente et socialement injuste », a-t-il dénoncé.

Il appelle à un rééquilibrage global, fondé sur une meilleure gestion, un soutien fort au capital humain, un financement durable et une réelle stratégie d’investissement. « Il ne s’agit pas de produire des stratégies séduisantes sur le papier, mais d’apporter des réponses concrètes aux besoins du terrain », a-t-il affirmé.

Le Maroc s’est engagé dans une refonte de son système de santé avec une ambition claire : garantir un accès équitable et efficace aux soins pour l’ensemble de sa population. Les progrès sont visibles, les intentions affirmées, les acteurs mobilisés. Mais à l’épreuve des faits, la réussite de cette transformation dépendra de la cohérence de l’action publique, de la persévérance des décideurs, et de la capacité collective à faire converger les efforts vers un modèle pérenne, inclusif et résilient.

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