Pollution des plages : au-delà du sable, un vrai danger pour la santé des Marocains

Au Maroc, les plages ne sont pas seulement des lieux de loisirs. Elles sont devenues, au fil des années, un véritable indicateur de santé publique. Baignade dans des eaux douteuses, sable souillé par des déchets invisibles à l’œil nu, exposition aux microplastiques : les risques sanitaires liés à la pollution du littoral sont bien réels. Pourtant, ils restent encore largement sous-estimés par une partie de la population, mais aussi par certains décideurs locaux.

Chaque été, des milliers de familles marocaines prennent la direction de la mer, souvent sans savoir si la plage choisie est réellement sûre. Derrière l’apparente beauté de certaines étendues de sable, la réalité est parfois tout autre : prolifération de bactéries, risques infectieux, irritations cutanées, voire troubles digestifs pour les plus vulnérables. Pour les professionnels de santé, la situation mérite une vigilance renforcée. Pour les associations de terrain, il est grand temps de sortir du cycle des campagnes de communication saisonnières sans lendemain.

Le constat est clair : il ne suffit plus de faire du nettoyage de façade pour les besoins des photos d’été. La gestion de la qualité des plages au Maroc doit devenir un dossier de santé publique à part entière, suivi, contrôlé et évalué toute l’année. Car au-delà des apparences, c’est bien la santé des citoyens qui est en jeu. Le temps des opérations ponctuelles et des actions vitrines est révolu. Place aux mesures structurelles, à la coordination entre les ministères, aux équipes de terrain formées et présentes en continu, et à une réelle implication citoyenne.

Pour comprendre les défis mais aussi les pistes de solutions, enSanté.ma est allé à la rencontre de Saad Abid, président de l’association Bahri et militant de la première heure pour la protection du littoral marocain. Fort de son expérience au Maroc et à l’étranger, il livre un regard lucide et sans langue de bois.

Avec votre expérience sur le terrain, au Maroc comme à l’international, comment jugez-vous l’implication des autorités marocaines dans la préservation de la qualité sanitaire des plages ?

Saad Abid : Je suis en contact avec les équipes du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, qui est en charge du suivi de la qualité des eaux de baignade au Maroc. Ils viennent de mener une campagne avec un laboratoire pour analyser la qualité des eaux, afin de déterminer quelles plages sont adaptées à la baignade et lesquelles sont à éviter. Cela démontre une réelle volonté des autorités d’impliquer toutes les parties prenantes dans la préservation de la qualité des plages.

Sur le terrain, on observe toutefois des disparités entre les régions en termes de gestion : certaines plages sont très bien entretenues, d’autres beaucoup moins, en raison d’un manque de suivi et de coordination. Il faudrait une approche intégrée, mêlant le volet santé (qualité de l’eau, du sable et sécurité de la baignade), la gestion des déchets, qui passe par des comportements responsables et la présence d’agents de nettoyage, voire l’implication directe des citoyens.

Il y a aussi le volet sensibilisation citoyenne, que nous portons à travers nos actions, mais qui reste encore peu impactant en l’absence d’un système de sanctions. Certains citoyens, même sensibilisés, n’agissent que lorsqu’il y a des amendes. La sensibilisation ne doit en aucun cas être reléguée au second plan, car elle est essentielle dans le processus.

Quelles actions concrètes les pouvoirs publics et les collectivités locales devraient-ils renforcer, selon vous, pour protéger la santé des usagers des plages et limiter les risques liés à la pollution ?

Saad Abid : Il faut d’abord renforcer le système de collecte des déchets, aussi bien en milieu urbain que rural, car certaines plages se trouvent dans ces zones. Tout ce qui est jeté à terre finit tôt ou tard dans la mer.

Il faut mettre en place des dispositifs permettant non seulement de surveiller régulièrement la qualité de l’eau et du sable, ce qui commence à se faire aujourd’hui, mais aussi de rendre ces résultats publics, comme le fait actuellement le Ministère de la Transition énergétique et du Développement durable.

Les communes doivent être formées et dotées de moyens concrets pour lutter contre la pollution. Je peux citer l’exemple de notre innovation, « Chbika », qui permet de collecter les microplastiques. Si cette solution était déployée sur l’ensemble des plages du Maroc, on pourrait réduire drastiquement le taux de plastique.

Il faudrait aussi instaurer des amendes pour dissuader les pollueurs et renforcer la collaboration avec la société civile. Les associations, présentes sur le terrain, sont très mobilisées, mais manquent de moyens, tandis que les autorités disposent des moyens, mais pas toujours de l’impact et de l’expérience du terrain. Il s’agit donc d’une collaboration « gagnant-gagnant ».

Enfin, il est essentiel de mener des actions tout au long de l’année, et pas uniquement durant la saison estivale. Il faut des structures durables, avec des partenariats à 360°, impliquant toutes les parties prenantes.

En observant ce qui se fait ailleurs dans le monde, quels exemples ou bonnes pratiques le Maroc pourrait-il adopter pour mieux concilier protection de l’environnement côtier et santé publique ?

Saad Abid : L’éducation et la sensibilisation doivent commencer très tôt. En Australie, j’ai constaté que les plages sont propres à 100 %, sans aucune poubelle. Quand j’ai demandé pourquoi, les gens m’ont répondu qu’ils sont personnellement responsables de la propreté de leur environnement et de leurs déchets.

Autre exemple : les systèmes de certification comme le « Pavillon Bleu » de la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement. Cela permet non seulement un retour positif et détaillé, mais impose aussi un cahier des charges strict sur la propreté, les infrastructures, la sensibilisation, l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, etc.

L’instauration d’amendes, comme cela se fait dans d’autres pays, reste également essentielle. Certains citoyens réagissent plus vite quand cela touche directement leur portefeuille.

En parallèle, il faudrait encourager les initiatives citoyennes de nettoyage grâce aux nouvelles technologies, des jeux, ou encore via l’IA et les robots capables de collecter et trier les déchets.

Enfin, il serait pertinent de développer des partenariats avec les écoles et les universités, comme 1337 ou l’UM6P, pour impliquer les étudiants avec des idées innovantes autour du tri des déchets. Aujourd’hui, au Maroc, le taux de tri reste inférieur à 5 %.

On pourrait aussi impliquer les chiffonniers et créer ainsi une véritable économie circulaire, génératrice de valeur, dans laquelle tout le monde serait gagnant.

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