En ce mois de ramadan, marqué par le jeûne et la ferveur spirituelle, les habitudes alimentaires de nombreux Marocains sont profondément modifiées. C’est dans ce contexte que le Dr. Valérie Alighieri, médecin généraliste formée en nutrition, livre pour enSante.ma une réflexion sur les effets du jeûne, en mettant en parallèle le jeûne religieux et la pratique du jeûne intermittent, de plus en plus répandue. Deux manières différentes d’aborder la restriction alimentaire, chacune avec ses bénéfices, ses contraintes et ses impacts sur l’organisme.
Dans nos sociétés où la surproduction de produits transformés et la surconsommation de sucre et de gras sont omniprésentes, les pathologies cardiovasculaires, le diabète ou encore les cas de cancer ne cessent d’augmenter. Tout le corps médical s’accorde sur le fait que modifier nos mauvaises habitudes alimentaires est essentiel dans la prévention de nombreuses maladies et représente un pilier thérapeutique.
Sur cette base, de nombreux régimes alimentaires ont vu le jour, notamment la pratique du jeûne intermittent. Le principe consiste en une alternance de phases alimentaires avec une phase de privation pour mettre l’organisme au repos durant une durée minimale de seize heures (16/8), afin que l’organisme « déstocke ».
Notre organisme produit de nombreux déchets toxiques issus des différentes fonctions métaboliques, et ces toxines sont éliminées, lorsque tout fonctionne correctement, par la peau, les poumons, le foie, les reins et les intestins, dans les limites de capacité de ces organes et chez des sujets sains.
Par conséquent, un jeûne est intéressant si l’alimentation reste saine et variée, apportant protéines, glucides, lipides, vitamines et minéraux. Le choix des aliments est primordial : il convient de respecter une alimentation diététique et d’éviter les abus. Penser à bien mastiquer pour augmenter la capacité du tube digestif à absorber les nutriments. Privilégier les aliments faciles à digérer. Le jeûne exclut également les substances toxiques telles que l’alcool et le tabac.
Quel effet du jeûne sur la digestion ?
Il est important de savoir que lorsqu’un repas est ingéré, la digestion démarre au niveau de la bouche grâce à des processus enzymatiques, puis se poursuit dans l’estomac et enfin dans les intestins. La digestion prend plus ou moins de temps selon les aliments : 15 minutes pour un jus, par exemple, jusqu’à 7 à 9 heures pour une viande grasse. Pendant les repas et la digestion, le corps stocke. Pendant le jeûne, il déstocke.
Malheureusement, notre mode alimentaire actuel fait que les périodes de jeûne sont de plus en plus courtes, parfois moins de deux heures dans la journée (jusqu’à 6 prises : 3 repas et 3 collations), la principale phase de jeûne restant la nuit. Le jeûne intermittent permet donc d’allonger cette phase, pendant laquelle le corps se met au repos physiologique. À noter que le jeûne intermittent n’est pas hypocalorique : les apports restent les mêmes et il n’est pas pratiqué dans un but de perte de poids.
Un jeûne d’au moins 16 heures permet également de maintenir une flore intestinale équilibrée et d’augmenter la bonne flore bactérienne ; il améliore donc l’abondance du microbiote intestinal.
Pendant la phase de jeûne se produit aussi un phénomène d’autophagie, c’est-à-dire que l’organisme utilise ses déchets pour libérer des acides aminés nécessaires aux processus de reconstruction.
Le jeûne entraîne également la dégradation des graisses, notamment abdominales, et la production de corps cétoniques qui vont servir de carburant pour produire de l’énergie pour le cœur, le cerveau et les autres organes vitaux. Cette voie de production d’énergie a l’avantage de générer moins de radicaux libres, agressifs pour nos cellules. La diminution de la graisse abdominale réduit le risque de développer diabète, maladies inflammatoires chroniques ou encore certains cancers.
Attention !
Le jeûne peut entraîner une perte musculaire. Il est donc conseillé de maintenir une activité physique régulière pour entretenir la masse musculaire. Mieux vaut privilégier la marche ou la natation, des activités douces qui sollicitent les muscles sans les épuiser.
Des études ont également montré que le jeûne aurait un effet positif sur les mécanismes de défense de l’organisme, et donc sur l’immunité.
Quand les excès alimentaires annulent les bienfaits du jeûne
Le jeûne religieux du mois de ramadan devrait suivre les mêmes règles d’hygiène alimentaire : des repas sains et équilibrés pendant la phase d’alimentation, afin d’en retirer les bénéfices évoqués plus haut. Malheureusement, les habitudes au sein des foyers marocains sont souvent à l’opposé des recommandations diététiques.
Les repas sont fréquemment trop copieux, avec un excès de sucre (chbakia, jus, desserts lactés, gâteaux marocains), un excès de gras (briouates frits, viennoiseries, friture de poisson, sellou), et la consommation de substances toxiques comme le tabac persiste, voire s’intensifie après la rupture du jeûne.
Les repas sont généralement basés sur des produits farineux au détriment des céréales complètes riches en fibres ou des aliments protéiques de bonne qualité nutritionnelle. Les légumes sont souvent négligés, et les fruits consommés sous forme de jus, donc assimilés comme des sucres rapides.
Ramadan vs jeûne intermittent : des enjeux très différents
Une différence majeure avec le jeûne intermittent est que le jeûne religieux interdit toute consommation d’eau pendant la journée, parfois sous des températures élevées et avec le maintien d’activités professionnelles physiques. Cela augmente considérablement le risque de déshydratation, d’où l’importance de bien s’hydrater après la rupture du jeûne.
Cependant, si le ramadan est vécu différemment, avec une alimentation adaptée, de meilleures habitudes de vie, une activité physique douce comme la marche et un arrêt des substances toxiques, il peut être bénéfique sur le plan physique, en plus de sa dimension spirituelle. Il est aussi essentiel de respecter un bon rythme de sommeil.
À noter que le jeûne est déconseillé, voire contre-indiqué, dans certaines pathologies comme le diabète de type 2 mal équilibré ou chez les personnes souffrant d’insuffisance d’organe (cardiaque, rénale ou hépatique). Les hypoglycémies peuvent être très dangereuses pour les diabétiques et les patients cardiaques, avec un risque accru d’accidents vasculaires. La déshydratation, elle, peut mettre un patient fragile en situation de dialyse.
Le jeûne dit thérapeutique est pratiqué dans certains pays comme l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne, la Russie ou encore le Canada, mais cette méthode reste controversée et nécessite un encadrement médical strict. De nombreuses équipes de recherche mènent actuellement des études pour évaluer l’intégration du jeûne comme soin complémentaire, notamment en oncologie.