Chaque année, le 24 mars, le monde se mobilise pour rappeler que la tuberculose n’a pas disparu. Cette maladie, ancienne mais toujours bien présente, continue de faire des victimes, y compris au Maroc.
Si les traitements existent, les difficultés persistent : conditions de vie précaires, retards de diagnostic, résistances aux médicaments… autant de réalités qui compliquent la lutte. Face à ces défis, il devient essentiel d’adapter les réponses, en tenant compte du terrain et des populations concernées.
Dans ce contexte, enSanté.ma a échangé avec le Professeur Bouchra Daher, spécialiste en pneumologie à l’Hôpital Universitaire International Cheikh Khalifa. Elle apporte un éclairage concret sur la situation actuelle au Maroc, les facteurs de risque, l’impact du confinement, ainsi que les moyens mis en place pour contenir la propagation de la maladie. Un échange essentiel pour mieux comprendre où en est la lutte contre la tuberculose, et comment la renforcer.
enSanté.ma : Quelle est la situation de la tuberculose dans le monde ?
Pr Bouchra Daher : La tuberculose est une infection causée par une bactérie, le Mycobacterium tuberculosis. C’est une maladie infectieuse qui touche principalement les poumons, mais peut également atteindre d’autres organes.
Sur le plan épidémiologique mondial, environ 10 millions de personnes ont été atteintes de tuberculose en 2003, avec près de 1,25 million de décès la même année. On constate une augmentation des cas de tuberculose résistante au traitement ainsi qu’une hausse des cas liés à l’infection par le VIH.
Et au Maroc, où en est-on ?
Pr Bouchra Daher : L’épidémiologie au Maroc n’a pas beaucoup changé ces 10 dernières années. L’incidence moyenne est de l’ordre de 90 nouveaux cas par 100.000 habitants, c’est une instance qui est quand même élevée. On a une distribution géographique qui est très élevé dans les villes surpeuplées. La tuberculose est présente dans les couches où le niveau socio-économique est bas, mais elle est liée aussi à la malnutrition, la promiscuité, sans oublier les patients qui souffrent de maladies chroniques, notamment l’insuffisance rénale, les diabétiques, les patients qui vivent en collectivités, et la population carcérale. On peut dire qu’il y a beaucoup de facteurs de risques qui favorisent la persistance de la tuberculose au Maroc.
Pourquoi observe-t-on une hausse des cas ces dernières années ?
Pr Bouchra Daher : L’incidence de la tuberculose a légèrement augmenté après la période de confinement, notamment à cause de la promiscuité au sein des foyers et de la réticence des patients à consulter.
On a également observé une hausse des cas de tuberculose extra pulmonaire, en particulier la tuberculose ganglionnaire. Cette forme est souvent liée à la consommation de produits laitiers contaminés, notamment par des vaches infectées.
La tuberculose est une maladie insidieuse, dont les symptômes peuvent être peu bruyants : toux chronique, fatigue, fièvre modérée, amaigrissement progressif.
Ce tableau clinique peu alarmant explique souvent le retard au diagnostic. Durant cette période, le patient reste contagieux, ce qui favorise la propagation de la maladie avant même qu’elle ne soit détectée.
Qu’est-ce qui cause la résistance aux traitements ?
Pr Bouchra Daher : Les résistances sont en grande partie liées à une mauvaise observance du traitement. Le traitement antituberculeux est lourd, associant plusieurs antibiotiques sur une durée d’au moins six mois.
Beaucoup de patients interrompent leur traitement prématurément, ce qui favorise l’émergence de souches résistantes. Ces souches peuvent ensuite contaminer d’autres personnes, aggravant ainsi la situation.
Les résistances ne proviennent pas uniquement d’une mauvaise observance. Elles peuvent aussi être directement transmises par des patients infectés par des souches résistantes.
Lorsque ces derniers ne sont pas pris en charge à temps, ils exposent leur entourage à un risque de contamination par une forme de tuberculose difficile à traiter.
Quelles actions sont menées pour lutter contre la tuberculose ?
Pr Bouchra Daher : Les actions de lutte et de prévention contre la tuberculose s’inscrivent dans le cadre d’un programme national planifié par le ministère de la Santé. Ce programme est mis en œuvre en collaboration avec les pneumologues du secteur public, les structures hospitalières universitaires, ainsi que les centres de diagnostic des maladies respiratoires et de la tuberculose.
Ce dispositif couvre toutes les étapes de la prise en charge du patient, du diagnostic au traitement. Les centres sont équipés de moyens modernes, notamment le test GeneXpert, utilisé comme outil de diagnostic de première intention. Bien qu’il soit coûteux, ce test est pris en charge par le ministère de la Santé et réalisé gratuitement pour les patients suspects de tuberculose.
Des actions sont également mises en place pour garantir l’observance thérapeutique. Des professionnels de santé se déplacent régulièrement pour suivre la prise quotidienne des médicaments, qui doivent être administrés le matin, à jeun, une à deux heures avant le petit-déjeuner. La régularité est essentielle : aucune dose ne doit être sautée. Chaque patient est systématiquement rappelé à ces règles, et le traitement doit être suivi sur une durée totale de six mois pour les formes pulmonaires.
Par ailleurs, des campagnes de sensibilisation et de dépistage sont régulièrement organisées, notamment dans les milieux carcéraux, les collectivités, et les zones de grande promiscuité. Ces environnements sont considérés comme propices à la propagation de la maladie. Le dépistage est aussi recommandé pour les personnes à risque, notamment les patients hémodialysés, les insuffisants rénaux, ou ceux sous traitement immunosuppresseur.
Enfin, lorsqu’un patient est diagnostiqué, un dépistage de l’entourage est immédiatement enclenché, avec des radiographies et des analyses pour détecter d’éventuels cas secondaires. L’objectif est de traiter rapidement les cas contacts et de rompre ainsi la chaîne de transmission de la tuberculose.
Le secteur privé a-t-il un rôle à jouer ?
Pr Bouchra Daher : Le secteur privé joue un rôle important dans le diagnostic, notamment dans les régions du sud où la tuberculose est fréquente.
Lorsqu’un cas est suspecté, les médecins privés suivent le même protocole que dans le public. Une fois le diagnostic posé, le patient est orienté vers le secteur public pour recevoir un traitement gratuit, sauf en cas d’hospitalisation, où certaines structures privées disposent de médicaments.
Cette collaboration entre public et privé permet de mieux prendre en charge les cas et de renforcer la lutte contre la tuberculose.