Street-food au Maroc : un cocktail estival à haut risque !

En été, difficile de résister à l’appel des saveurs de rue. Un sandwich de thon à la hâte, quelques brochettes fumantes, un jus fraîchement pressé ou même des sushis vendus à la volée… Partout au Maroc, de Casablanca aux plages d’Agadir, en passant par les quartiers populaires de Rabat, la street-food fait partie du décor. Mais derrière cette apparente convivialité, les risques sanitaires explosent, et l’absence de contrôle devient inquiétante.

Un simple tour dans les rues du Maârif à Casablanca suffit pour s’en convaincre : brochettes et bricks servies à 30 dirhams, sans aucune précaution de conservation. Dans le Souk Koréa, un vendeur propose à lui seul une carte digne d’un restaurant : burgers, pâtes à la sauce blanche, pastillas aux fruits de mer, paella et même des desserts glacés… le tout exposé sans véritable réfrigération.

Plus étonnant encore, des sushis à 20 dirhams vendus dans la rue par des ressortissants chinois, sans congélation préalable ni traçabilité des produits utilisés.

Quant aux désormais tristement célèbres charrettes de thon, elles écoulent chaque jour des sandwichs préparés à partir de grosses boîtes de conserve ouvertes dès le matin et laissées ainsi jusqu’au soir. Les sauces maison, fabriquées sans aucun respect des températures de conservation, sont servies à la louche. Un même couteau sert à tout faire : couper le pain, étaler les sauces, ouvrir les boîtes… Quant aux chiffons utilisés pour « nettoyer » le matériel, mieux vaut ne pas s’attarder sur leur état.

Contrôles sanitaires : une présence quasi inexistante

L’ONSSA est aux abonnés absents. Le ministère de la Santé lui-même ne bouge que lorsqu’un scandale éclate ou qu’une intoxication fait les gros titres. En dehors de ces pics de communication, les contrôles sur le terrain sont quasi inexistants, notamment dans les zones les plus fréquentées par les estivants.

Bien sûr, l’argument social revient systématiquement : “ces petits vendeurs doivent bien gagner leur vie”. Mais il est urgent de rappeler que jouer avec la vie des gens en vendant des produits impropres à la consommation n’est pas une option. Entre solidarité économique et sécurité sanitaire, il est temps de trouver un équilibre.

L’histoire récente du youtubeur Samir Vlogs, hospitalisé après avoir consommé des produits laitiers contaminés par le Bacille de Koch (BK), reste dans toutes les mémoires. Une preuve que les risques sont bien réels, et qu’ils peuvent toucher n’importe qui.

L’éclairage de Dr Valérie Alighieri

Pour mieux cerner ces risques, enSanté.ma a sollicité Dr Valérie Alighieri, spécialiste en nutrition et en santé publique. Voici son analyse :

enSanté.ma : Quels sont les principaux dangers sanitaires liés à la consommation, sans conservation adéquate, de produits frais vendus dans la rue en été (sushis, sandwichs, jus…) ?

Dr Valérie Alighieri : Les risques sanitaires alimentaires l’été sont plus importants en raison des hausses de températures. Déjà, même avant la préparation, l’aliment n’a pas toujours été conservé dans le respect de la chaîne du froid (4°C). Dans la street-food, les aliments sont parfois laissés à température ambiante et manipulés avec des mains mal ou non lavées s’il n’existe pas un point d’eau accessible à proximité (particulièrement lors de la vente sauvage sur les charrettes : nems, briwates, jbane, etc.). Ces températures très élevées, de surcroît avec une exposition en plein soleil, à l’air libre sans protection contre les contaminations extérieures, exposent à la prolifération de bactéries, de toxines libérées par les bactéries ou de parasites (Salmonella, E. coli pathogène, Listeria, Entamoeba histolytica, etc.).

Il faut être particulièrement vigilant avec les aliments les plus sensibles à la chaleur tels que les viandes, les poissons, les œufs et les produits laitiers.

Cependant, il ne faut pas négliger les risques avec les aliments consommés crus tels que les fruits ou légumes. Bien les laver et les consommer à la minute.

enSanté.ma : Quel impact peut avoir la qualité hygiénique des sauces comme la mayonnaise maison laissée à température ambiante entre chaque usage ?

Dr Valérie Alighieri : Les sauces mal conservées ou servies dans des récipients qui ne sont pas à usage unique présentent un risque de contamination.

Dans le cas d’une mayonnaise faite à la maison qui ne contient pas de conservateur, comme les mayonnaises du commerce, elle est préparée avec du jaune d’œuf cru. Bien que les œufs utilisés soient en principe pasteurisés (attention aux œufs « beldi » qui ne sont pas pasteurisés et dont on ne connaît pas la date de production), il est important de bien respecter la chaîne du froid (0 à 4°C), de la conserver dans un récipient hermétique et de la consommer dans les 24 heures maximum.

enSanté.ma : Quels sont les symptômes à surveiller après la consommation de produits mal conservés (poissons, crustacés, jus, produits laitiers…) et dans quels délais ces signes peuvent-ils apparaître, notamment en période estivale ?

Dr Valérie Alighieri : Les principaux signes d’intoxication alimentaire sont les nausées, les vomissements, les diarrhées, les douleurs abdominales à type de crampes, les maux de tête ainsi que la fatigue et parfois la fièvre. On surveille également la présence de glaires ou de sang dans les selles.

La rapidité d’apparition des symptômes dépend de la bactérie incriminée et de ses toxines, ou du parasite. Cela peut aller de quelques heures à plusieurs jours.

L’une des bactéries qui peut provoquer une infection sévère, voire mortelle (1 % des cas), est E. coli entérohémorragique (ECEH), qui survient lors de la consommation de produits animaux tels que viandes ou produits laitiers mal cuits ou consommés crus, ou de fruits et légumes frais crus ayant été en contact avec ces derniers. Celle-ci libère des toxines (Shiga-toxines) qui vont endommager les petits vaisseaux sanguins intestinaux et rénaux, induisant des diarrhées sanglantes et une atteinte rénale.

enSanté.ma : Quels conseils pratiques donneriez-vous aux consommateurs pour vérifier, avant d’acheter ou de consommer de la street-food en été, que les conditions de conservation sont respectées ?

Dr Valérie Alighieri : Difficile pour le consommateur de contrôler les conditions sanitaires d’un restaurant ou d’un snack ! Il vaut mieux préférer les lieux à fort débit, où les aliments sont vendus et consommés rapidement.

Éviter les aliments en vente sauvage : escargots, poissons achetés sur les charrettes, coquillages particulièrement à risque dans les mois chauds, fruits et légumes exposés au soleil et surtout les fruits sans peau (fraises) ou dont la peau protectrice est abîmée (pêches, nectarines, figues, tomates, etc., pastèques prédécoupées, jus non consommés à la minute…).

S’il n’y a pas de point de réfrigération pour les viandes et les produits laitiers, ne pas les consommer. Pour ces derniers, préférer les produits pasteurisés.

Il faut faire attention aux sauces laissées à l’air ambiant sur les tables (mayonnaises…), également aux olives et aux cacahuètes manipulées par des mains multiples et pas toujours propres.

Éviter les charcuteries ; préférer les viandes bien cuites et en morceaux plutôt que hachées (difficile de la faire cuire à point et de détruire les bactéries à l’intérieur). Faire également attention aux eaux en carafe ou dans des bouteilles déjà ouvertes.

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